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Khadar Ayderus Ahmed : "J'ai voulu dépeindre des hommes africains tendres, plein de compassion et d'amour"
La Femme du fossoyeur est Étalon d'or de Yennenga 2021 et Prix Paulin Vieyra de la Critique africaine
critique
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 24/10/2021
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Scène du film, avec l'actrice Yasmin Warsame (Nasra) et l'acteur Omar Abdi (Guled)
Scène du film, avec l'actrice Yasmin Warsame (Nasra) et l'acteur Omar Abdi (Guled)
African critic Award / Prix de la Critique - Paulin Vieyra 2021
African critic Award / Prix de la Critique - Paulin Vieyra 2021
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec Kadar Abdoul-Aziz IBRAHIM (Mahad, le fils), au premier plan
Scène du film, avec Kadar Abdoul-Aziz IBRAHIM (Mahad, le fils), au premier plan
Scène du film
Scène du film
Le réalisateur (à droite avec les lunettes) et ses deux acteurs, à Cannes
Le réalisateur (à droite avec les lunettes) et ses deux acteurs, à Cannes
L'actrice Yasmine Warsame ("Nasra")
L'actrice Yasmine Warsame ("Nasra")
L'actrice Yasmin Warsame est "Nasra"
L'actrice Yasmin Warsame est "Nasra"
L'acteur Omar Abdi est "Guled"
L'acteur Omar Abdi est "Guled"
"Citizens (Kaupunkilaisia)", écrit par Khadar Ahmed, 2008
"Citizens (Kaupunkilaisia)", écrit par Khadar Ahmed, 2008
"The Killing of Cahceravga", co-écrit et co-réalisé par Khadar Ahmed, 2019
"The Killing of Cahceravga", co-écrit et co-réalisé par Khadar Ahmed, 2019
"Yövaras / The Night Thief, réalisé par Khadar Ahmed, 2017
"Yövaras / The Night Thief, réalisé par Khadar Ahmed, 2017
Affiche finlandaise du film
Affiche finlandaise du film
Khadar A. Ahmed, réalisateur somalien
Khadar A. Ahmed, réalisateur somalien
Africiné Magazine, the World Leader (Africa & Diaspora Films)
Africiné Magazine, the World Leader (Africa & Diaspora Films)

De la compétition de la Semaine de la critique à l'Etalon d'or du Yennenga de la 27 édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) décerné le 23 octobre 2021, le premier long métrage du Finlandais d'origine somalienne Khadar Ayderus AHMED fait un lumineux parcours. Ce film, qui a conquis beaucoup de festivaliers, aura également impressionné le jury du Fespaco présidé par le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, tout comme les critiques africains qui lui ont décerné le Prix Paulin Soumanou Vieyra la veille de la clôture de la biennale du cinéma africain. Africiné avait rencontré sur la Croisette Khadar Ayderus Ahmed après la première mondiale de son film. Entretien.

Le sujet de La Femme du fossoyeur est assez singulier. Comment vient-on s'intéresser à un fossoyeur qui vit dans les bidonvilles de Djibouti ?

L'histoire m'a été inspirée par un deuil dans ma famille à Helsinki (en Finlande où le cinéaste vit, NDLR). J'ai trouvé le rituel funéraire musulman très long et mon frère m'a alors fait remarquer combien il était facile d'enterrer quelqu'un en Somalie parce que les fossoyeurs attendaient devant les hôpitaux pour faire le travail dans les heures qui suivent un décès. J'ai été frappé par ce phénomène assez étrange, je le reconnais. C'est à partir de cette idée que j'ai commencé à construire le personnage du fossoyeur, Guled, celui de sa femme, de son univers familial et de ses origines.



Sa bien-aimée Nasra est atteinte d'une infection rénale et c'est l'occasion pour vous d'explorer les lacunes des systèmes de santé dans nos pays. ll faut payer pour accéder aux soins les plus élémentaires, les spécialistes les plus communs sont rares. Dans votre film, il s'agit par exemple d'un anesthésiste. Pourquoi vous êtes-vous penché sur cette problématique ?

Je voulais mettre en avant deux éléments. Le premier se rattache à la politique, au fait qu'il s'agit d'un pays qui a été colonisé et auquel on a tout pris. Résultat : les gens se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans un système social qui peut les soutenir. Le deuxième renvoie aux systèmes de santé en Afrique subsaharienne. Les gens peuvent y succomber de maladies les plus bénignes, faute d'avoir accès aux soins dans les meilleurs délais. Dans les pays occidentaux, la prise en charge est autre. Finalement, on leur a tout pris et il ne leur reste que l'amour.

Cependant, entre la colonisation et aujourd'hui, nos leaders politiques ne sont-ils pas un peu responsables de la situation, eux qui vont à l'étranger se faire soigner ?

Evidemment, c'est aussi une question de responsabilité politique. Nous constatons que ces leaders ne se préoccupent pas de leurs concitoyens. Ils voyagent à bord de jets privés pour partir en vacances et abandonnent leurs compatriotes. Je voulais justement insister sur cet abandon.

Nasra est une femme malade mais elle apparaît comme celle qui est finalement la plus forte, comparée à Guled qui semble plus rêveur. Il semble aussi moins pragmatique quand on le compare à son fils qui essaie aussi de gagner de l'argent pour aider sa mère à se soigner. Le fil conducteur de film étant de trouver l'argent nécessaire pour les soins de Nasra qui sont onéreux pour cette famille défavorisée. Comment avez-vous pensé ces personnages et les liens qui les unissent au moment de l'écriture ?

En tant que scénariste, on met toujours un peu de soi dans ses histoires. J'ai été élevé par une mère célibataire. Elle était forte, étant à la fois un père et une mère pour nous. Elle a tout fait pour nous et je voulais par conséquent lui rendre hommage. Les personnages féminins de ce film sont très forts : il y a Nasra, la mère dans le village de Guled qui y est en réalité la patronne et qui décide de tout - quand elle dit non, les autres suivent -, et la doctoresse qui met en jeu sa carrière pour soigner Nasra. Encore une fois, je suis Africain et j'ai grandi dans un pays où les femmes sont plus fortes que les hommes. Toutes les femmes de ma famille l'étaient assez, pour prendre soin de leurs familles.

Quant à la relation de Guled avec son fils, elle est loin d'être parfaite. Ce qui est le reflet de son passé : il a quitté son village très jeune et n'a donc pas bénéficié d'une figure paternelle. Guled veut être un bon père mais il ne sait pas comment s'y prendre, d'où cette distance entre lui et son fils. La mère, son épouse, elle sait de quoi il en retourne. La famille de Guled est comme toutes les autres : pleine d'imperfections.

Comment avez-vous choisi vos comédiens - Yasmin Warsame et Omar Abdi - qui sont d'une incroyable justesse dans la peau de Nasra et Guled ?

Je connais Omar depuis longtemps. Nous avions déjà travaillé ensemble sur mes courts métrages. Quant à Yasmin, qui est une mannequin très connue, j'ai juste cru en elle. Il fallait juste qu'elle dise oui au projet. Il y avait une grande confiance entre nous et cela nous a beaucoup aidés. J'ai été très chanceux de les avoir tous les deux dans ces rôles principaux.

On parle souvent du machisme des hommes africains. Votre film vient prendre à contrepied tous nos préjugés. Votre héros est le contraire de tout ce que l'on imagine souvent, en particulier dans les pays de tradition musulmane où le rapport de domination est encore plus visible. Guled, lui, est un homme aimant et attentionné envers son épouse à plus d'un titre. Une superbe scène illustre parfaitement cela. Pourquoi ce parti pris ?

Il y a eu tellement de films sur les hommes africains réalisés par d'autres, des films occidentaux qui insistent sur d'autres aspects. J'ai voulu dépeindre des hommes africains tendres, pleins de compassion et d'amour. Je voulais briser ce stéréotype qui circule sur nous partout dans le monde. Guled et Nasra ne se disent jamais qu'ils s'aiment mais ils se le montrent. Leur amour est visible, simple. On ne voit pas beaucoup d'histoires d'amour émanant du continent. C'est plutôt, souvent, des récits stéréotypés sur l'immigration, autour des conflits armés, des seigneurs de guerre, de la piraterie, du terrorisme et de la radicalisation. Le tableau est souvent très sombre.

C'est effectivement important de rappeler que La Femme du fossoyeur est avant tout une histoire d'amour...

Je suis Somali et les Somalis ont été dépeints au cinéma comme des pirates, des personnes agressives... Il y a de nombreux films qui ont une perspective occidentale sur les Somalis. Quand je les regarde, en tant que Somali, je n'arrive pas à m'identifier à ces personnages qui sont censés me représenter. Je ne le peux tout simplement pas, parce qu'ils ne me représentent pas. Par conséquent, je voulais montrer ma vision des choses en tant qu'homme africain : la tendresse, la compassion et l'amour qui m'ont été transmis par ma mère.

Vous êtes Somali, un Finlandais d'origine somalienne. Votre film est celui d'un membre de la diaspora somalienne. Nous voyons de plus en plus de films qui racontent l'Afrique réalisés par des cinéastes de la diaspora dans les festivals internationaux. Il est alors légitime de se demander si le regard d'un membre de la diaspora sur son pays, sa culture ou encore sa communauté est le même que celui d'un cinéaste qui vit chez lui. Cette interrogation est-elle valable selon vous ou pensez-vous qu'il ne faut pas poser le problème en ces termes ?

J'ai quitté la Somalie à l'âge 16 ans [avec sa famille, le cinéaste a émigré à cause de la situation politique dans son pays, une république fédérale dont une partie - le Somaliland, formé par les anciens territoires administrés par les Britanniques - n'est pas reconnu par la communauté internationale, NDLR]. Si j'étais né à l'étranger et que j'y avais grandi, les choses auraient été différentes. Mais j'ai grandi en Somalie, j'y suis allé à l'école.
J'étais assez grand pour ramener avec moi, en Finlande, ma culture et mon identité. Je ne me considère pas comme une personne de la diaspora. Je suis Africain et c'est un film complètement africain. Je suis très fier d'être Somalien.


La bande-annonce en finnois

Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?

Je viens d'une nation où on aime raconter des histoires. J'ai grandi en les écoutant et en les partageant. Quand je suis arrivé en Finlande, j'ai commencé à aller au cinéma de manière régulière, parfois trois fois par semaine. Je suis tombé amoureux du cinéma et je me suis dit que c'est comme cela que je voulais raconter des histoires, mes histoires. Mais je n'ai jamais fait d'école de cinéma. Je suis autodidacte.

Vous travaillez déjà sur votre prochain film ?

Ce sera une comédie en français (sourire), tournée sur le continent africain.

Falila Gbadamassi

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