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LA FEMME DU FOSSOYEUR, un couple étreint par un amour poignant et saignant
Un film de Khadar AHMED, Somalie / Finlande, 2021
critique
rédigé par Mireille Bambara
publié le 09/12/2021
Mireille Bambara est rédactrice à Africiné Magazine
Mireille Bambara est rédactrice à Africiné Magazine
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien
Scène du film, avec l'actrice Yasmin Warsame (Nasra) et l'acteur Omar Abdi (Guled)
Scène du film, avec l'actrice Yasmin Warsame (Nasra) et l'acteur Omar Abdi (Guled)
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec Kadar Abdoul-Aziz IBRAHIM (Mahad, le fils), au premier plan
Scène du film, avec Kadar Abdoul-Aziz IBRAHIM (Mahad, le fils), au premier plan
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien, avec son Prix Paulin Vieyra (Critique Africaine) et l'Étalon d'or 2021
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien, avec son Prix Paulin Vieyra (Critique Africaine) et l'Étalon d'or 2021
Le réalisateur (à droite avec les lunettes) et ses deux acteurs, à Cannes
Le réalisateur (à droite avec les lunettes) et ses deux acteurs, à Cannes
"The Killing of Cahceravga", co-écrit et co-réalisé par Khadar Ahmed, 2019
"The Killing of Cahceravga", co-écrit et co-réalisé par Khadar Ahmed, 2019
"Yövaras / The Night Thief, réalisé par Khadar Ahmed, 2017
"Yövaras / The Night Thief, réalisé par Khadar Ahmed, 2017
"Citizens (Kaupunkilaisia)", co-écrit par Khadar Ahmed
"Citizens (Kaupunkilaisia)", co-écrit par Khadar Ahmed
Affiche somalienne du film
Affiche somalienne du film
Affiche finlandaise du film
Affiche finlandaise du film
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien avec tous ses trophées gagnés au Fespaco 2021 (dont le Prix Paulin Vieyra FACC)
Khadar A. AHMED, réalisateur somalien avec tous ses trophées gagnés au Fespaco 2021 (dont le Prix Paulin Vieyra FACC)

La femme du fossoyeur (The Gravedigger's Wife) du réalisateur Khadar Ahmed est un film qui s'inscrit dans un réalisme absolu. Le cinéaste somalien-finlandais présente des personnages au milieu d'un décor sans vie, sans espoir, écrasé, effacé et dominé par la misère dans toute sa froideur. C'est la triste histoire d'un couple étreint par un amour poignant et saignant. Guled et Nasra ont fui le village suite au refus de Nasra d'épouser l'homme que son père lui a choisi.

Comme poursuivis par la malédiction d'une désobéissance coutumière, Guled et Nasra sont deux Somaliens qui s'installent dans un quartier très pauvre de Djibouti avec leur fils Mahad (Kadar Abdoul-Aziz Ibrahim). Fossoyeur de son état, Guled est confronté à des conditions de vie très difficiles, avec sa petite famille. Il doit faire face à la maladie de sa femme qui est atteinte d'un mal rénal. Dépourvu de ressources, Guled tente par tous les moyens de réunir la somme nécessaire à l'intervention chirurgicale afin d'alléger la souffrance de sa bien-aimée.



Le réalisateur nous présente des personnages malheureux, miséreux, rejetés, haïs par leurs parents. Ils vivent difficilement et souffrent moralement, physiquement, socialement, financièrement, intellectuellement, sanitairement. Ils sont dans une précarité extrême, comme en témoigne le lieu d'habitation des deux personnages principaux où les portes, les murs, la maison sont en tôle. À l'intérieur, le décor et les accessoires sont sans confort, une petite lampe fournit la lumière, le salon sert de cuisine avec des commodités traditionnelles.

Les acteurs sont époustouflants. Ils arrivent à impliquer le téléspectateur dans le film, dans leur réalité, dans leur souffrance, dans leur monde. Le téléspectateur devient alors un personnage qui assiste impuissant aux choses ; il vit, ressent et partage les souffrances. Ainsi, avec la séquence où Nasra se tord de douleur, Yasmin Warsame compose un physique affecté et un visage triste ; elle est ravagée et dévastée par la maladie. En quête de moyens financiers afin d'amener sa femme à l'hôpital, Guled (joué par Omar Abdi) enchaîne les péripéties, démontrant sa volonté sans faille. Cela met de la compassion au cœur du téléspectateur. Le réalisateur traduit aussi la lourde responsabilité que le père confie à son très jeune fils. Khadar Ahmed souligne le caractère pitoyable de leur misère, pour ainsi signifier qu'ils sont les seuls à porter cette misère en eux et à marcher avec elle. Face à la situation familiale, le fils devient père et mère.

Le film présente un paysage et un cadre qui sont très significatifs. Cet immense cadre spatio-temporel semble supplanter et engloutir les personnages. Cela décrit fort bien la dureté, l'agressivité, la violence, la mort, la sècheresse, la souffrance, la misère, la pauvreté auxquelles cette population djiboutienne est confrontée (y compris les expatriés somaliens au cœur du film).
Quand Guled croise une carcasse, elle symbolise la mort qui le suit partout, en lien avec son travail de fossoyeur où il côtoie des corps sans vies. Lorsque Guled s'appuie sur un bâton, il est à l'image d'un personnage biblique : Moïse sauva un peuple (les enfants d'Israël), le fossoyeur veut sauver sa femme. Perdu et tourmenté, il s'accroche à la vie pour sauver son amour.

Le réalisateur utilise des plongées qui écrasent Guled, pour démonter qu'il est sous le poids de la souffrance, qu'il est rabaissé dans tout son état et écrasé sur tous les plans. Par ailleurs, Khadar Ahmed présente une atmosphère, un temps, des images sombres et une luminosité sans le moindre éclat comme si l'existence et la vie humaine avaient perdu tout son éclat au sein de ce couple. Cela traduit l'assombrissement des vies et des choses. Le film dans son grand ensemble est dépourvu de grande luminosité, tout semble triste où Guled apparait comme un fantôme au cœur d'un univers cruel.
Khadar Ahmed accompagne ses images d'une musique froide, glaciale, monotone, funeste pour traduire le caractère mortuaire des évènements et des personnages et par moments par une musique (sénégalaise) très rythmée. Toutes les actions sont presque accompagnées de musique, parfois de silence. Le réalisateur fait un comparatisme entre ville et village. Il présente deux univers à la fois proches et différents. La misère du quartier de Guled n'est qu'une transposition pure et simple du village.
Le réalisateur présente un personnage principal dans un rôle de fossoyeur, c'est-à-dire quelqu'un chargé d'enterrer les morts. Tout souligne que Guled côtoie la mort tous les jours. Il creuse une terre parsemée de pierres juste pour survivre. Il n'a aucune passion pour son métier. Son fils qui le méprise ne veut pas finir comme lui.
Khadar Ahmed laisse percevoir une certaine cohérence narrative au sein ce film, à travers un univers visuel où riment images, effets sonores, une scénographie, des personnages, des espaces, un temps, des décors dans une structuration naturelle bien coordonnée et agencée. Le rythme est lent, le réalisateur prend tout son temps pour présenter les choses et les rendre si vivantes, réelles et émotives. Un enchainement logique et cohérent des faits et un professionnalisme dans l'art de suggérer et de montrer caractérisent ce récit filmique.

Au-delà de ses aspirations, ce film est riche en enseignements, en valeurs, en humanisme, en originalité. Il présente une esthétique bien menée. C'est un film fort plaisant et attractif. Bien construit ce film est intéressant et digne d'intérêt. Il est très interpellateur. Le réalisateur crée le suspense à la fin de l'histoire. Il laisse transparaitre une continuité fictionnelle des évènements et projette l'histoire dans une autre dimension, dans un rebondissement imaginaire.
À travers ce récit, Khadar Ahmed nous enseigne que la grandeur et la force de l'homme résident dans sa capacité à faire face aux difficultés qui se présentent à lui. L'originalité et la beauté d'une œuvre artistique se trouvent dans la simplicité, le réalisme des faits et sa capacité à toucher les cœurs et à dégager de l'émotion sur celui qui la contemple.

Mireille BAMBARA

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