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CINÉMA AU CAP-VERT
Un chantier à films
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 28/12/2022
Jean de Dieu GOMES, réalisateur capverdien
Jean de Dieu GOMES, réalisateur capverdien
Bassirou NIANG, Rédacteur à Africiné Magazine
Bassirou NIANG, Rédacteur à Africiné Magazine
L'équipe du Festival Oiá au travail
L'équipe du Festival Oiá au travail
Yuri Ceuninck, cinéaste capverdien ("Le Plan du maître / The Master's Plan")
Yuri Ceuninck, cinéaste capverdien ("Le Plan du maître / The Master's Plan")

Balbutiements, timide relance, nouvelle dynamique ; des qualificatifs pour parler du cinéma cap-verdien qui sort aujourd'hui de sa coquille pour se révéler à/au (son) monde. Depuis de nombreuses années, en effet, ce cinéma a eu du mal à trouver ses marques. pendant que sur le continent africain les cinématographies nationales trouvent le chemin de la reconnaissance à travers l'image des tapis rouges internationaux. Cependant, une sorte de "nouvelle vague" est en train de redessiner les contours du septième art de ce pays aux dix îles échouées dans l'océan Atlantique, au large du Sénégal. Une dynamique conduite par une jeunesse au fait des mouvements de lignes dans les sociétés du monde, avec des histoires sociales, culturelles, politiques, d'amour, de révolte, etc. qu'elle découvre à travers les réseaux sociaux, la télévision, les plateformes.

Aujourd'hui, les avis des uns et des autres - qu'ils soient d'un âge assez avancé ou plus jeunes - semblent prendre le même chemin. Deux réalités se côtoient : le constat d'un désert cinématographique et l'urgence d'une construction "en cinéma".

L'URGENCE D'UNE CONSTRUCTION EN CINÉMA

Jean De Dieu GOMES, l'un des pionniers de l'audiovisuel cap-verdien, fait un flash-back historique et acte la naissance de l'audiovisuel au Cap-Vert en 1984, avec la fondation de la télévision nationale. C'est à partir de ce moment-là que commence la production de films documentaires. Quand bien même il n'existait pas dans le pays - au contraire de cette autre nation lusophone qu'est la Guinée Bissau - un groupe de jeunes gens envoyés et formés en cinéma, en ex-Union Soviétique, sur décision d'Amilcar Cabral. Ce célèbre leader bissau- guinée avait pour but de produire initialement des actualités afin de soutenir la lutte armée pour l'indépendance (contre l'occupant portugais).

Le vide capverdien est d'autant plus aggravé par l'inexistence de productions nationales, pendant que dans des pays comme le Sénégal apparaissaient des noms comme Sembène Ousmane traçaient le chemin du septième art. Les premières images ont été l'initiative d'étrangers venus avec leur caméra, explique M. Gomes. "Entre 1960 et 1990, il y a eu des films qui ont été faits de l'extérieur vers l'intérieur. Ce qui fait qu'on ne peut pas vraiment dire que ce sont des films cap-verdiens", poursuit-il. Il y a tout de même eu un film "très bien fait", confie-t-il, inspiré d'un roman d'un auteur cap-verdien. Cependant, ce qu'il y a à déplorer, c'est qu'il a été réalisé par un Portugais, avec un Directeur de la photographie de la même nationalité, et surtout par une équipe à dominante brésilienne, même si quelques acteurs locaux ont été intégrés au casting. [Vraisemblablement, il s'agit de Ilhéu da Contenda, de Leão Lopes, 1996, d'après l'écrivain capverdien Henrique Teixeira de Sousa publié en 1978 et paru en France sous le titre Un domaine au Cap-Vert, NDLR].

D'après le témoignage de Jean De Dieu Gomes, des expériences en Super 8 pour de petits films ont été menées durant la décennie 1950 - 1960 par des amateurs cap-verdiens, mais cela n'a pas suffi à vraiment ouvrir la voie à un véritable cinéma national. "Pour moi, le cinéma cap-verdien n'a jamais vraiment décollé parce que les dirigeants de notre pays n'ont pas eu cette préoccupation, après l'indépendance, de former des gens pour le cinéma", constate-t-il, croyant que ces derniers avaient "d'autres urgences à régler. Ce n'était donc pas important".

Le plus regrettable, c'est d'avoir raté le coche ; d'avoir perdu une belle opportunité de faire du cinéma en 1984, avec la naissance de la télévision nationale. D'autant qu'à l'époque, beaucoup de sensibilités s'intéressaient au cinéma.
Aujourd'hui, heureusement, beaucoup de gens s'intéressent au cinéma. Le moment doit être saisi pour aller vers beaucoup plus de professionnalisme ; c'est-à-dire qu'il faut beaucoup plus de qualité.

…PAR LA FORMATION

S'il y a une priorité qui fait l'unanimité au Cap-Vert, c'est celle de la formation. Qu'ils soient cinéastes, acteurs, producteurs, ils s'accordent tous sur cette question. Certes l'envie de travailler, la qualité des acteurs de théâtre sont des tremplins, "mais le cinéma, c'est différent", soutient Jean-Didier Lopes, spécialiste capverdien en multimédia et en audiovisuel. Répondre au besoin pressant en formation pour soutenir cet intérêt manifesté dans le milieu du cinéma, dans ce contexte particulier de contacts avec les cinématographies d'Afrique, d'Europe, du Brésil, du Portugal, etc. Une ouverture bénéfique puisqu'elle permet un accès aux offres de financements de certains fonds d'appui à la création - de la production à la post-production. L'information commence donc petit à petit à circuler. D'habitude, celle-ci ne leur parvienne que ouï dire à travers leurs pairs ayant la chance d'aller à l'étranger. Lesquels les informe de l'existence de fonds sud-africain, burkinabè, sénégalais, brésilien, portugais, etc. "Ça bouge ! On commence à voyager et à faire du pitching", dit-il.

"Les financements viennent du ministère cap-verdien de la culture, mais ce n'est vraiment pas important", au vu des montants, fait remarquer Lopes. Cela n'empêche, les obstacles demeurent toujours avec l'absence de structures louant du matériel de tournage. "On est obligé soi-même d'aller acheter son propre matériel. Et quand c'est comme ça, ça devient très difficile", tonne M. Lopes. Mais comme une résilience de l'esprit de créativité, les cinéastes cap-verdiens arrivent à faire des films, malgré le manque de moyens.

NOTRE CINÉMA, NOS THÉMATIQUES

Concomitamment aux sources de financements, ce qui est en jeu, c'est la question de l'identité, de son propre regard sur soi. Pour Lopes, pour ne pas dénaturer celui-ci, il urge de se tourner vers l'Afrique qui recèle de très bons producteurs, pouvant partager la même vision, les mêmes thématiques différentes de celles proposées par le cinéma américain ou européen. L'option proposée est celle, comparativement au néo-réalisme italien ou à la nouvelle vague du cinéma français, consistant à raconter, avec les faibles moyens disponibles, nos propres histoires, qu'elles soient rurales, urbaines, non sans en occulter celles universelles, pouvant ainsi toucher Sénégalais, Burkinabès ou Gambiens, défend Lopes.

DEVELOPPER DES PARTENARIATS

Une politique de partenariat serait très efficace, vu le contexte actuel marqué par l'absence de moyens de financement et de logistique. "Si l'on veut faire des films qui ont une ambition internationale et qu'on n'a pas les fonds nécessaires et un appui institutionnel, ça devient très difficile", laisse entendre le réalisateur Yuri Ceuninck. Néanmoins, s'appuyant sur le mouvement actuel qui commence à se faire sentir, ce dernier affiche son optimisme : "il y a des réalisateurs et producteurs qui cherchent des financements à l'étranger, en présentant leurs projets dans des marchés internationaux. Cela crée une dynamique très positive et qui commence à influencer toute une politique interne par rapport au cinéma", estime Yuri Ceuninck, cinéaste capverdien [il a sorti en 2021 son film Le Plan du maître / The Master's Plan, NDLR].

Bassirou NIANG

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